Quantification des dépôts amyloïdes dans le myocarde
Importance de la médecine nucléaire dans le diagnostic de l’amylose cardiaque
Les techniques d’imagerie de médecine nucléaire utilisant des traceurs ayant une affinité pour l’amyloïde se sont imposées comme l’examen de référence non invasif pour le diagnostic de la cardiomyopathie amyloïde liée à la transthyrétine (ATTR-CM), mais elles attirent de plus en plus l’attention pour la surveillance de l’évolution de la maladie et du traitement. L’article suivant donne un aperçu de l’importance et des nouveaux aspects de la médecine nucléaire dans le diagnostic de l’ATTR-CM.
Physiopathologie et symptômes
L’ATTR-CM est une cardiomyopathie infiltrante dont la pathogenèse est dominée par la transthyrétine (TTR), une protéine de transport de la vitamineA et des hormones thyroïdiennes synthétisée dans le foie. Dans ce cas, la déstabilisation pathologique du tétramère de TTR conduit à sa dissociation en monomères qui, par repliement anormal, forment des fibrilles amyloïdes qui se déposent par la suite dans le myocarde.1 L’infiltration du myocarde se traduit par une hypertrophie biventriculaire progressive, associée à une rigidité myocardique accrue avec dysfonction diastolique et systolique concomitante, ce qui entraîne à son tour des symptômes d’insuffisance cardiaque globale et est souvent associé à un pronostic défavorable en l’absence de traitement.2
Diagnostic et limites
Alors que l’ATTR-CM était autrefois considérée comme une maladie rare, la sensibilisation croissante ainsi que les progrès des méthodes et des algorithmes diagnostiques ont contribué ces dernières années à ce que de plus en plus de personnes atteintes soient aujourd’hui diagnostiquées.3 Les techniques d’imagerie, telles que l’échocardiographie, occupent une place importante, car elles peuvent fournir des indications précieuses sur la présence d’une amylose cardiaque à l’aide de ce que l’on appelle les «red flags» (signes d’alerte). Ceux-ci comprennent une hypertrophie biventriculaire, en particulier au niveau du septum, une dilatation auriculaire avec hypertrophie du septum interatrial, des épanchements péricardiques et/ou pleuraux (Fig.1A), ainsi que le schéma caractéristique d’une fonction longitudinale réduite à la base et préservée à l’apex des segments de paroi du ventricule gauche dans l’analyse de strain («apical sparing», Fig.1B).4 En outre, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) cardiaque permet, au moyen d’images de «late enhancement» réalisées après l’injection d’un agent de contraste et de séquences de «T1 mapping», de détecter les dépôts amyloïdes dans le myocarde dans la matrice extracellulaire (Fig.1C et D), ce qui permet une délimitation fiable du diagnostic différentiel par rapport à d’autres formes de maladies hypertrophiques.5
Les techniques d’imagerie de médecine nucléaire jouent cependant un rôle clé dans le diagnostic, comme la scintigraphie osseuse planaire du corps entier avec des traceurs radioactifs ayant une affinité pour l’amyloïde (comme 99mTc-DPD) (Fig.1E).6 Celle-ci permet de visualiser les dépôts amyloïdes dans le myocarde et s’est établie comme l’examen de référence non invasif avec une sensibilité et une spécificité élevées pour le diagnostic de l’ATTR-CM, en évaluant de manière semi-quantitative la fixation du traceur liée à l’amyloïde au moyen du score de Perugini.7 Il convient toutefois de noter que la technique d’imagerie planaire est limitée. D’une part, les faux positifs dus au pool sanguin du traceur radioactif sont interprétés à tort comme une fixation dans le myocarde. D’autre part, la technique d’imagerie planaire n’est pas en mesure de quantifier l’évolution de la maladie ou de surveiller les traitements spécifiques à l’amyloïde.8 Ces limites potentielles peuvent être réduites par des méthodes quantitatives telles que l’imagerie par SPECT/CT («single photon emission computed tomography»/«computed tomography») (Fig.1F).9 La détermination de la «standardized uptake value» (SUV), qui reflète la concentration du traceur radioactif dans les tissus, permet une quantification complète des dépôts amyloïdes dans le myocarde et, en cas d’utilisation en série, elle a le potentiel de surveiller l’évolution de la maladie et du traitement.10,11
Quantification des dépôts amyloïdes dans le myocarde
Dans le cadre d’une étude exploratoire sur l’imagerie menée par le service clinique de cardiologie en coopération avec celui de médecine nucléaire de l’Université de médecine de Vienne, la relation entre la fixation quantitative du traceur au niveau cardiaque et les dépôts amyloïdes dans le myocarde ainsi que la structure et la fonction cardiaques chez les patient·es atteint·es d’ATTR-CM a été examinée, et des paramètres de médecine nucléaire ont été identifiés pour quantifier la charge amyloïde dans le myocarde et surveiller l’évolution de la maladie et du traitement.12 Au total, 40 patient·es atteint·es d’ATTR-CM ont subi une scintigraphie osseuse du corps entier, une SPECT/CT quantitative et une IRM cardiaque. Des corrélations significatives ont été établies entre la valeur indice de rétention (RI)-SUV, qui tient compte de la fixation supplémentaire du traceur dans les tissus osseux ou mous, et la charge amyloïde dans le myocarde à l’IRM cardiaque (volume extracellulaire: Fig.2A; temps T1 natif: Fig.2B), la fonction cardiaque longitudinale (strain longitudinal du ventricule droit: Fig.2C), les biomarqueurs sériques cardiaques (NT-proBNP, Fig.2D; troponine T, Fig.2E), la performance (distance parcourue au test de marche de 6 minutes, Fig.2F) et le stade de la maladie (stade National Amyloidosis Centre [NAC]). En outre, les patient·es atteint·es d’ATTR-CM ont été classé·es en deux cohortes sur la base de la valeur RI-SUV médiane: un groupe présentant une faible fixation du traceur et un groupe présentant une fixation élevée du traceur au niveau cardiaque. La comparaison des deux cohortes a montré que les patient·es présentant une fixation quantitative élevée du traceur au niveau cardiaque présentaient une maladie plus avancée. Ces données suggèrent que l’imagerie quantitative SPECT/CT avec détermination de la valeur RI-SUV pourrait avoir le potentiel de quantifier la charge amyloïde dans le myocarde et, en cas d’utilisation en série, de surveiller l’évolution de la maladie et du traitement chez les patient·es atteint·es d’ATTR-CM.
Résumé
L’ATTR-CM est une cardiomyopathie infiltrante de plus en plus souvent diagnostiquée, due à des dépôts progressifs de fibrilles amyloïdes dans le myocarde et souvent associée à un pronostic défavorable en l’absence de traitement. Au cours des dernières années, l’ATTR-CM est passée du statut de maladie incurable à celui de maladie traitable grâce à une meilleure sensibilisation, à des progrès considérables en matière d’efficacité diagnostique et aux options thérapeutiques, la quantification de la charge amyloïde dans le myocarde ainsi que la surveillance de l’évolution de la maladie et du traitement par imagerie de médecine nucléaire ayant pris de l’importance.◼
◾01
Fig.2:Corrélation de la valeur RI-SUV avec les caractéristiques d’imagerie, d’analyse de laboratoire et cliniques
Fig.1:Imagerie pour le diagnostic d’une cardiomyopathie amyloïde liée à la transthyrétine (ATTR-CM): les images A et B montrent les caractéristiques à l’échocardiographie de l’ATTR-CM. A: Vue des 4 cavités avec le tableau clinique complet d’une ATTR-CM: hypertrophie du ventricule gauche et dilatation auriculaire. B: Analyse du strain du ventricule gauche avec l’«apical sparing» typique de l’ATTR-CM. C, D: Caractéristiques à l’IRM de l’ATTR-CM. C: Vue des 4 cavités avec le tableau clinique complet d’une ATTR-CM. D: «native T1 mapping» dans le petit axe avec des temps T1 myocardiques fortement augmentés (jaune clair à rougeâtre), typiques d’une ATTR-CM. Les images E et F représentent des clichés de médecine nucléaire. E: Scintigraphie osseuse montrant une fixation marquée du traceur dans le myocarde. F: SPECT/CT avec «tracer uptake» manifeste dans le ventricule gauche
Fig.3: Corrélation entre la fixation quantitative du traceur au niveau cardiaque et la charge amyloïde dans le myocarde, la fonction cardiaque longitudinale, les biomarqueurs cardiaques, la performance et le stade de la maladie chez les patient·es atteint·es d’ATTR-CM
Cardiomyopathie amyloïde liée à la transthyrétine
Faible fixation du traceur au niveau cardiaque
Avantages
SPECT/CT: SUV
IRM: temps T1 natif
Fixation élevée du traceur au niveau cardiaque
Charge amyloïde
Volume extracellulaire
Temps T1 natif
Fonction cardiaque
Strain longitudinal du ventricule droit
Biomarqueurs sériques
NT-proBNP
Troponine T
Performance
Distance parcourue au test de marche de 6 minutes
Stade de la maladie
Stade NAC
Volume extracellulaire [%]
Temps T1 natif [ms]
RI-SUV [g/ml]
RI-SUV [g/ml]
Strain longitudinal du ventricule droit [%]
NT-proBNP [ng/l]
RI-SUV [g/ml]
RI-SUV [g/ml]
Troponine T [ng/l]
Distance parcourue au test de marche de 6 minutes [m]
RI-SUV [g/ml]
RI-SUV [g/ml]
Low Cardiac Uptake
High Cardiac Uptake
r=0,669
p<0,001
Low Cardiac Uptake
High Cardiac Uptake
r=0,432
p<0,005
Low Cardiac Uptake
High Cardiac Uptake
r=0,445
p<0,004
Low Cardiac Uptake
High Cardiac Uptake
r=0,458
p<0,003
Low Cardiac Uptake
High Cardiac Uptake
r=0,422
p<0,007
Low Cardiac Uptake
High Cardiac Uptake
r=0,385
p<0,017